L’histoire se définit par la vérité qu’elle se montre capable d’élaborer. C’est ce qu’il convient de faire en établissant la distanciation nécessaire par rapport à l’objet d’étude. Sans doute, cette vérité de la connaissance historique apparaît comme quelque chose qu’il n’est pas facile d’atteindre. Mais l’effort, le plus systématique permet de s’en rapprocher. La connaissance historique se veut rationnelle, c’est pourquoi il est nécessaire d’élaborer une méthodologie rigoureuse : Archives, documents, conférences, ouvrages, photos, témoignages qui contribuent aux sources du travail. Or, tout document, n’est pas un matériau brut objectif. Il exprime, la plupart du temps, le souhait qu’une personne ou qu’une organisation entend laisser sur sa mémoire et sur l’avenir. C’est pourquoi l’approche méthodologique en histoire fait appel à la critique qui consiste à établir la vérité de l’information fournie par le document. La tâche de l’historien n’explique pas dans le sens où l’on peut déduire et prévoir comme c’est le cas, par exemple, dans les sciences physiques
Nos recherches se situent dans le champ de l’histoire des courants ésotériques. C’est pourquoi il faut mettre en évidence, d’une part dans quel contexte une recherche a été conduite et d’autre part clarifier au mieux ce qu’il faut entendre par certains termes dans le cadre d’une approche critique.
L’ésotérisme apparaît comme un monde mystérieux pour beaucoup de gens, relevant de multiples chapelles, un ensemble hétéroclite. Pour d’autres il s’agit d’un langage codifié, des enseignements ou des faits secrets parce que volontairement cachés Cela a fait dire à Jean-Pierre Laurant que ce terme est un « mot autobus » où montent des gens qui ne se connaissent pas et qui descendent à des arrêts différents sans s’être forcément parlé, mêlés à d’autres voyageurs, au hasard des trajets n’ayant en commun que la destination[1]. Pour Jacques Maître (1925-2013), sociologue des religions, l’ésotérisme peut se voir comme un mode d’existence souterrain, de visions du monde qui se veulent alternatives aux savoirs officiels[2].
L’historien des courants ésotériques à la différence de l’ésotériste, qui pratique l’ésotérisme, voit l’ésotérisme comme un courant de pensée dont il s’agit de délimiter les contours et qui suit les évolutions de son temps.
Aujourd’hui l’ésotérisme est considéré comme un champ de recherche en Sciences Religieuses. Ainsi en France en 1965, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes a été créée en Sciences Religieuses une chaire d’Histoire de l’Esotérisme Chrétien[3], devenue plus tard, Histoire des Courants Esotériques dans l’Europe Moderne et Contemporaine. Une autre chaire existe à Amsterdam aux Pays-Bas.
« La méfiance que l’ésotérisme suscite est du même ordre que celle de l’expression du religieux en général […]. D’où l’intérêt de faire admettre l’étude de ces courants comme discipline historique à côté de celui qu’ils présentent pour le sociologue ou l’anthropologue […] Il a été l’objet […] de l’intérêt d’un certain nombre de personnalités universitaires et non des moindres comme Henri Corbin […].Au bout de quarante ans on peut parler d’une certaine stabilité dont le mérite revient au caractère strictement scientifique des travaux qui y ont été réalisés et aux définitions méthodologiques élaborées par Antoine Faivre »[4] .
Malgré cette diversité d’écoles et de courants, il est possible cependant de relever un certain nombre de critères en commun. Antoine Faivre a proposé une grille méthodologique devenue aujourd’hui classique à l’intérieur de notre champ de recherche et qui distingue six composantes : quatre principales et deux accessoires. Les quatre principales mettent en évidence : les correspondances entre le visible et l’invisible, le fait que la Nature comme le cosmos sont vivants, l’appel à l’imagination, dans le sens imaginal ou créateur donné par Henri Corbin[5] (1903-1978), les médiations spirituelles[6] et enfin l’expérience de la transmutation. Deux autres sont fréquemment rencontrées mais considérées comme accessoires et non obligatoires : la pratique de la concordance et la transmission[7].
Cette approche d’Antoine Faivre fait aujourd’hui autorité dans le monde savant et universitaire. Elle a été reprise par Jean-Pierre Laurant car elle permet selon lui de diminuer les risques de confusion avec les autres disciplines qui recoupent également le champ d’étude de l’ésotérisme.[8] Sur la transmission, il avance néanmoins un point de vue différent de celui d’Antoine Faivre. Pour lui, la pensée ésotérique met en avant des modes spécifiques de transmission où prédomine l’oralité, des relations personnelles de maître à disciple, l’initiation et dans une moindre mesure, le secret[9].
[1] LAURANT Jean-Pierre, L’Esotérisme, Paris, Editions du Cerf, 1993, p.8.
[2] MAITRE Jacques, Etudes d’Histoire de l’Esotérisme, Mélanges offerts à Jean-Pierre Laurant pour son soixante-dixième anniversaire, Dirs. Jean-Pierre Brach & Jérôme Rousse-Lacordaire, Paris, Editions du Cerf, Coll. « Patrimoines », P.25.
[3] FAIVRE Antoine, “Christian Theosophy”, in Dictionary of Gnosis and Western Esotericism, Leiden, Brill, 2005, Volume I, pp.259-267.
[4] RASPUS Valery, Dix Questions à Jean-Pierre Laurant, Sciences Humaines, 22.04.2011.
[5] ROUSSE-LACORDAIRE Jérôme, “Corbin Henry”, in Dictionary of Gnosis and Western Esotericism, Leiden, Brill, 2005, pp.271-273.
[6] FAIVRE Antoine, L’Esotérisme, 2007, p.16 : parle de l’appel aux rituels, aux symboles chargés de plusieurs sens, aux esprits intermédiaires comme les anges par exemple susceptibles de créer des passages entre les différents plans de réalité que l’imagination « active » exerce sur ces médiations et fait de celles-ci un outil de connaissance.
[7]FAIVRE Antoine, L’Esotérisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, pp.3-18.
[8] LAURANT Jean-Pierre, L’Esotérisme, Paris, Editions du Cerf, 1993, p.10.
[9] BRACH Jean-Pierre & ROUSSE-LACORDAIRE Jérôme Dirs., Etudes d’Histoire de l’Esotérisme, Mélanges offerts à Jean-Pierre Laurant pour son soixante-dixième anniversaire, Paris, Editions du Cerf, Coll. « Patrimoines », P.18.
La première partie de cet ouvrage intitulée « Histoire et Sociologie de l’Esotérisme » offre des outils méthodologiques pour analyser le monde de l’ésotérisme au regard des « instances officielles des savoirs » selon l’expression de Jacques Maître. Voir également, HANEGRAAFF Wouter, « Esotericism », in Dictionary of Gnosis and Western Esotericism, Leiden, Brill, 2005, Volume I, pp.336-340 en ce qui concerne la définition, la typologie et les caractéristiques historiques et la bibliographié.
Excellente methodologie d'une approche historique de l 'ésotérisme.